« Rêver les étoiles »
lecture et chant à l’occasion de l’exposition
« À ciel ouvert » de Sylvie Lander
Dimanche 19 septembre à 15 heures
église protestante Saint Pierre le Jeune
TEXTES
« Avant toute chose l'Espace
Puis le Temps se fixe à son tour
Avec les éléments
La mise en place
L'action l'ordre des choses
À venir
Tout est prêt pour les nombreuses
Répétitions et séances et pour
Le Final
Dès la première particule
Plus rien ne fut vierge
Et tout devint phénomène
Combinaison
L'ouvert se fit jour
À travers l'obscur
Et le monde prit fait et cause
L’éternité s’effondra
Dès la première salve
Nucléaire »
« Le ciel et son fantôme »(extrait), André Verdet
« Des univers de scharl, de quartz, de serpentine,
Des cosmos de graphite et des feux de feldspath,
De sodium, de gneiss, d'argent et de grenat.
Chacun a ses rayons, ses teintes colorées
De la pourpre solaire aux lueurs azurées.
Les blancs charbons ardents sont faits de diamants,
Ces diamants soleils brûlent des cent mille ans ;
Les astres d'or sont teints d'une flamme verdâtre.
Ils brûlent tous, ils ont l'immensité pour âtre.
Et l'effroyable, intense, immortel brûlement
Fait la vie et la mort, la joie et le tourment.
Algol, l'Hydre, Méduse et l'étoile Céphée
Sont des astres tournants éclairant par bouffée
Comme sur les écueils les phares de la nuit »
« La genèse universelle » (extrait), Strada
« Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté ; qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers ; que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent.
Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions, au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part.
Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ? »
« Les Pensées » Chapitre XII, Blaise Pascal
« Quelque part dans l'espace c'est
Quelque part en nous-mêmes comme
Au travers du milliardième
Trou d'une aiguille
L'horloge cosmique
Ni n'avance ni ne retarde
Même si
Un milliardième de seconde
Lui échappe parfois
Pour nous donner
Signe de vie
Le grand Espace
Ne s'entrevoit encore
Que par une fente étroite »
« Le ciel et son fantôme » (extrait), André Verdet
« Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang clans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes clans ces honneurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible ; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ?
Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption. »
« Les Pensées » Chapitre XII, Blaise Pascal
« L'homme
Fils de la Terre on le sait
Petit-fils de l'Étoile on l'oublie
L'homme
En quelle masse
Se condenserait-il
À son tour
Reprendre graine
Le monde tel que nous l'avons
Nous-mêmes imaginé
Conçu composé
Ce monde survivrait-il
Aux aléas et à la chute
De la PENSÉE
Nous sommes sur le pont
Figurants d'une énigme
Oublieux du péril et faisant
Parfois des gestes dangereux
Nous regardons les étoiles
Elles nous rassurent
Et nous repartons
Tranquilles
Entre les deux parenthèses
D'un cataclysme »
« Le ciel et son fantôme » (extrait), André Verdet
« Le soleil était là qui mourait dans l'abîme.
L'astre, au fond du brouillard, sans air qui le ranime,
Se refroidissait, morne et lentement détruit.
On voyait sa rondeur sinistre dans la nuit ;
Et l'on voyait décroître, en ce silence sombre,
Ses ulcères de feu sous une lèpre d'ombre.
Charbon d'un monde éteint ! flambeau soufflé par Dieu !
Ses crevasses montraient encore un peu de feu,
Comme si par les trous du crâne on eût vu l'âme.
Au centre palpitait et rampait une flamme
Qui par instants léchait les bords extérieurs,
Et de chaque cratère il sortait des lueurs
Qui frissonnaient ainsi que de flamboyants glaives,
Et s'évanouissaient sans bruit comme des rêves.
L'astre était presque noir. L'archange était si las
Qu'il n'avait plus de voix et plus de souffle, hélas !
Et l'astre agonisait sous ses regards farouches.
Il mourait, il luttait. Avec ses sombres bouches
Dans l'obscurité froide il lançait par moments
Des flots ardents, des blocs rougis, des monts fumants,
Des rocs tout écumants de sa clarté première ;
Comme si ce géant de vie et de lumière,
Englouti par la brume où tout s'évanouit,
N'eût pas voulu mourir sans insulter la nuit
Et sans cracher sa lave à la face de l'ombre.
Autour de lui le temps et l'espace et le nombre
Et la forme et le bruit expiraient, en créant
L'unité formidable et noire du néant.
Le spectre Rien levait sa tête hors du gouffre. »
« La fin de Satan » (extrait), Les poèmes barbares, Victor Hugo
« Et l'homme est arrivé jusque-là
Des millénaires de marche
Un pied devant l'autre
Plus loin que la tortue
Et que l'oiseau
Transportant avec lui
Ses rêves et ses puces
Et l'homme est arrivé jusque-là
Levant toujours un bras
Plus haut que l'autre
Encore il lui reste
Beaucoup à parcourir
Des déserts à joindre
Longtemps à se poser
Des questions et à se faire
Des répons à lui-même
La chenille répète
Toujours le même chemin
La fourmi et l'abeille
Ont mené à terme
Leur vertu créative
Mais l'homme ira plus loin
Surmontant ses arrêts
Devant lui sa pensée »
« Le ciel et son fantôme » (extrait), André Verdet
« Écoutez !
Si on allume les étoiles
alors – c'est donc utile à quelqu'un ?
Alors – quelqu'un exige qu'elles existent ?
Alors – quelqu'un les nomme perles ces petits machins ?
Et forçant
les tourbillons de poussière au zénith,
il fonce vers Dieu,
craint d'être en retard, pleure,
baise sa main noueuse, demande
qu'il y ait une étoile tôt ou tard ! – ,
jure
que vivre sans étoiles l'épuise.
Et après
le voilà dans les alarmes, mais l'air tranquille.
Il arrête un passant :
«Dis, maintenant ça va ? tu n'as plus peur ?
Non ?!
Écoutez !
Si on allume
les étoiles
alors – c'est donc utile à quelqu'un ?
Alors il est indispensable
que chaque soir
au-dessus des toits
s'illumine au moins une étoile ? »
« Écoutez », Vladimir Maïakovski
« La Nuit m'appellerait-elle
Je sors observe les astres
Ils gravitent à la cime
D'un équilibre ils gravitent à la cime
D'un danger
Leur ordre est fait d'explosions
Leur vérité est en eux-mêmes
Fulminante
Je ferme les yeux m'imagine
En moi-même l'illimité
Je rouvre les yeux tâte mon pouls m'imagine
Mon sang dans son circuit
Sommes-nous accordés
Au système à ce qui bat
À l'ordre qui nous sidère
Je marche le regard haut levé
Nos yeux seront-ils accordés
À l'éclat des étoiles
Le cœur à leurs pulsions
Nos songes à leur destinée
De concert
Le regard des étoiles
Interroge nos possibilités
De les atteindre
Par l'esprit et par le cœur
Avant que la science
N'oblige
Le regard des étoiles
Interroge nos possibilités
De les atteindre
Par l'esprit et par le cœur
Avant que la science
N'oblige »
« Le ciel et son fantôme » (extrait), André Verdet
« Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nébuleuses
Les démons du hasard selon
Le chant du firmament nous mènent
À sons perdus leurs violons
Font danser notre race humaine
Sur la descente à reculons »
« Voie lactée » (extrait) Guillaume Apollinaire
« Dr Starnabàuim
a àlter Bàuim
àm steiwiga Waj
treimt
in sim Herbscht
vo Blüama
un Starna
dr Waj
àm Wàld entlàng
treimt
vo Vejel
wo uff da Aschter
bliaiha
In dr Nàcht
komma die Starna
wo àm Himmel wàchsa
wia tàuisig Gigerle Eigeler
wia tàuisigBliamele
im Bàuim
Frindschàft
bringa
Un dr Waj
lachelt
unterem Gsàng
vo da Starna
Un isch diniRind
nà a so àlt
un sin dini Waj
nà a so steiwig
Wenn hunderti
vo Blüama
in dina Hand
bliaiha
wia Starna
àm Himmel
so blibt
din Harz éwig jung »
« Büewespréng » , Gérard Leser
« Ici l'univers est à l'abri dans la profonde température de l'homme
Et les étoiles délicates avancent de leurs pas célestes
Dans l'obscurité qui fait loi dès que la peau est franchie,
Ici tout s'accompagne des pas silencieux de notre sang
Et de secrètes avalanches qui ne font aucun bruit dans nos parages
Ici le contenu est tellement plus grand
Que le corps à l'étroit, le triste contenant...
Mais cela n'empêche pas nos humbles mains de tous les jours
De toucher les différents points de notre corps qui loge les astres,
Avec les distances interstellaires en nous fidèlement respectées.
Comme des géants infinis réduits à la petitesse par le corps humain,
où il nous faut tenir tant bien que mal,
Nous passons les uns près des autres, cachant mal nos étoiles, nos vertiges,
Qui se reflètent dans nos yeux, seules fêlures de notre peau.
Et nous sommes toujours sous le coup de cette immensité intérieure
Même quand notre monde, frappé de doute,
Recule en nous rapidement jusqu'à devenir minuscule et s'effacer,
Notre cœur ne battant plus que pour sa pelure de chair,
Réduits que nous sommes alors à l'extrême nudité de nos organes
Ces bêtes à l'abandon dans leur sanglante écurie. »
« La fable du monde » (extrait), Jules Supervielle
« Je suis homme : je dure peu
et la nuit est énorme.
Mais je regarde vers le haut :
les étoiles écrivent.
Sans comprendre je comprends :
je suis aussi écriture
et en ce même instant
quelqu'un m'épelle. »
« Hommage à Claudius Ptolémé », Octavio Paz, tiré de Collected Poems
« De tous ses yeux la créature
voit l'Ouvert. Seuls nos yeux
sont comme retournés et posés autour d'elle
tels des pièges pour encercler sa libre issue.
Ce qui est au-dehors nous ne le connaissons
que par les yeux de l'animal. Car dès l'enfance
on nous retourne et nous contraint à voir l'envers,
les apparences, non l'ouvert, qui dans la vue
de l'animal est si profond. Libre de mort.
Nous qui ne voyons qu'elle, alors que l'animal
libre est toujours au-delà de sa fin :
il va vers Dieu ; et quand il marche,
c'est dans l'éternité, comme coule une source.
Mais nous autres, jamais nous n'avons un seul jour
le pur espace devant nous, où les fleurs s'ouvrent
à l'infini. Toujours le monde, jamais le
Nulle part sans le Néant, la pureté
insurveillée que l'on respire,
que l'on sait infinie et jamais ne désire.
Il arrive qu'enfant l'on s'y perde en silence,
on vous secoue. Ou tel mourant devient cela.
Car tout près de la mort on ne voit plus la mort
mais au-delà, avec le grand regard de l'animal,
peut-être. Les amants, n'était l'autre qui masque
la vue, en sont tout proches et s'étonnent...
Il se fait comme par mégarde, pour chacun,
une ouverture derrière l'autre... Mais l'autre,
on ne peut le franchir, et il redevient monde.
Toujours tournés vers le créé nous ne voyons
en lui que le reflet de cette liberté
par nous-même assombri. À moins qu'un animal,
muet, levant les yeux, calmement nous transperce.
Ce qu'on nomme destin, c'est cela : être en face,
rien d'autre que cela, et à jamais en face.
S'il y avait chez l'animal plein d'assurance
qui vient à nous dans l'autre sens une conscience
analogue à la nôtre – , il nous ferait alors
rebrousser chemin et le suivre. Mais son être
est pour lui infini, sans frein, sans un regard
sur son état, pur, aussi pur que sa vision.
Car là où nous voyons l'avenir, il voit tout
et se voit dans le Tout, et guéri pour toujours.
Et pourtant la chaude vigilance de la bête
cache le poids et le souci d'une profonde tristesse.
Car en lui comme en nous reste gravé sans cesse
ce qui souvent nous écrase, – le souvenir,
comme si une fois déjà ce vers quoi nous tendons
avait été plus proche, plus fidèle et son abord
d'une infinie douceur. Ici tout est distance,
qui là-bas était souffle. Après cette première
patrie, l'autre lui semble équivoque et venteuse.
Oh ! bienheureuse la petite créature
qui toujours reste dans le sein dont elle est née ;
bonheur du moucheron qui au-dedans de lui,
même à ses noces, frétille encore : car le sein
est tout. Et vois l'oiseau, dans son assurance tronquée :
d'origine il sait presque l'une et l'autre chose,
comme s'il était l'âme d'un Étrusque
– issue d'un mort qui fut reçu dans un espace –
mais avec le gisant en guise de couvercle.
Et comme il est troublé, celui qui, né d'un sein,
doit se mettre à voler ! Comme effrayé de soi,
il sillonne le ciel comme le cheminent d'une fêlure
à travers une tasse, ou la chauve-souris
qui déchire le soir en porcelaine.
Et nous : spectateurs, en tous temps, en tous lieux,
tournés vers tout cela, jamais vers le large !
Débordés. Nous mettons de l'ordre. Tout s'écroule.
Nous remettons de l'ordre et nous-mêmes croulons.
Qui nous a si bien retournés que de la sorte
nous soyons, quoi que nous fassions, dans l'attitude
du départ ? Tel celui qui, s'en allant, fait halte
sur le dernier coteau d'où sa vallée entière
s'offre une fois encor, se retourne et s'attarde,
tels nous vivons en prenant congé sans cesse. »
« Huitième Élégie de Duino », Rainer Maria Rilke